L’île Saint-Martin, un village au passé mouvementé
Par sa situation géographique et son passé historique, le hameau de l’Ile St Martin a été longtemps partagé entre trois communes : La Chapelle sur Loire, Huismes et Rigny-Ussé. Cette particularité à sans doute eu pour effet une certaine recherche d’identité provoquée par l’isolement et l’éloignement du bourg.
L’étymologie du toponyme de ce village a une origine à la fois géographique et historique. Sur les anciens plans, on peut voir, que sur ce territoire, la Loire communiquait avec l’Indre par des boires (mares et bras morts) et des ruisseaux, le petit Leyret et le grand Leyret aujourd’hui disparus. Les ruisseaux en se rejoignant formaient des îles ou presqu’îles dont les noms se sont conservés plus ou moins jusqu’à nos jours : l’île Rolland, l’île Ridard, la grande île, l’île Hivert, et l’île Jean de Lait, l’île St Martin. Quant à la dénomination de St Martin, elle tient au fait que ce hameau appartenait autrefois à la Chapelle sur Loire dont l’église avait pour vocable St Martin, en souvenir de la fameuse légende de « l’été de la St Martin » qui vit une renaissance miraculeuse de la nature sur les rives de la Loire lors du passage du Saint le 11 Novembre 397.
Le hameau de l’île St Martin, enclave huismoise coincée entre la Chapelle à l’Ouest et Rigny à l’Est, dépendait donc autrefois de la Chapelle sur Loire (autrefois la Chapelle Blanche). Il ne fut rattaché à la Commune de Huismes, sur ordonnance royale, qu’en 1831. Il comprenait alors 34 maisons et 110 habitants. La Loire, bien que frontière naturelle,ne formait pas de limité entre Huismes et la Chapelle. Le village de l’Ile St Martin, situé sur la rive gauche de la Loire, se trouvait donc isolé de la paroisse de la Chapelle dont il dépendait. Les habitants devaient traverser la Loire afin de faire baptiser leurs enfants ou enterrer leurs morts. Cette traversée devenait périlleuse en hiver, lors des crues et des tempêtes, et certains habitants préféraient faire baptiser leurs nouveaux-nés à Rigny-Ussé. Pour les mêmes raisons, certaines personnes originaires de l’Ile St Martin étaient inhumées dans le cimetière de Rigny.
Bien que rattachés à la Commune de Huismes en 1831, les habitants de l’île St Martin allaient encore souffrir de leur isolement. Pour désenclaver ce hameau, mais aussi pour accéder à la rive droite de l’Indre, le Conseil Municipal de Huismes, en 1816, avait décidé la construction d’un pont en bois sur l’Indre, les passages à gué s’avérant dangereux. Mais aucun chemin ne reliait le hameau au pont. En 1836, les habitants de l’île St Martin présentaient une pétition pour l’ouverture d’un chemin de leur village vers le bourg. Son tracé sera effectué seulement en 1843 et le pont de bois sur l’Indre sera transformé en pont de pierres en 1861.
Au cours du XIXème siècle, plusieurs projets de pont sur la Loire entre Huismes et la Chapelle avaient donné quelque espoir aux habitants de l’île St Martin, mariniers, pêcheurs, bûcherons, agriculteurs. Ces projets n’ont jamais vu le jour, contrariés il est vrai par la construction des ponts suspendus de Port-Boulet et de Langeais. Le Conseil Municipal de Huismes, en 1844, sous la houlette du Maire M. Desvarannes, avait présenté un projet, bien ambitieux, de pont suspendu sur la Loire, estimé à 300.00 Frs ; ce projet de pont à péage resta dans les cartons et entraîna la démission du Maire.
La construction très tardive des passerelles sur les bras de l’Indre en 1863 et les litiges entre Huismes et La Chapelle sur Loire au sujet des délimitations et des chemins mitoyens entre les deux communes n’étaient pas de nature à réconforter les habitants de l’île St Martin, confrontés en outre aux crues dévastatrices de la Loire.
Au cours des siècles, les riverains de la Loire connurent une série considérable d’inondations, isolant et ruinant les habitants. « Le 15 Novembre 1790, les eaux envahissent la vallée de l’Indre par plusieurs brèches. Des maisons s’écroulent, les meubles, le bois, le blé, le chanvre, le fourrage tout est emporté par le courant et disparaît en laissant sans ressources les malheureux habitants de l’île St Martin ».(E.Filleteau, monographie de Rigny-Ussé 1899).
Au XIXème siècle, trois énormes crues provoquèrent de gros dégâts entre l’Indre et la Loire.
En Septembre 1846, les eaux de la Loire détruisent la levée en plusieurs points et inondent toute la vallée. Malgré la construction de la levée du Bois Chétif en 1848, prolongeant celle de Bréhémont jusqu’au confluent de l’Indre et protégeant le Thélot, la vallée est encore inondée en Juin 1856, par la plus grande crue du siècle. Une brèche de 180 m. s’ouvre dans la levée sur la rive gauche en face de la Queue de l’Ile St Martin. Les terres sont entièrement ravinées et plusieurs maisons détruites. Les pertes éprouvées par la commune à la suite de cette inondation s’élèvent à 33.000 F. Le Conseil Municipal accorda la somme de 30 F. « au sieur Gallé-Dutertre, batelier à l’Ile St Martin, pour avoir fait le sauvetage avec son bateau, pendant l’inondation »
En Septembre 1866, une autre crue, inférieure de 40cm à celle de 1856, envahit de nouveau la vallée, rompant la levée par une brèche de 300 Ml à la Hudaudrie, et causant encore d’énormes dégâts.
La Municipalité de Huismes a toujours demandé l’exhaussement et le renforcement de la levée sur la rive gauche de la Loire et s’est opposée vivement en 1867 au projet de dérasement de la levée à 5,50 M. au dessus de l’étiage. Ce projet provoqua une vive émotion des 150 habitants de l’Ile St Martin qui demandaient la réparation des brèches existantes et l’arrachage des arbres et buissons dans le lit de la Loire. Le désaccord était profond entre les habitants et les ingénieurs des Ponts et Chaussées. Les uns, hostiles au déversoir du bec de Cher et au dérasement, les autres favorables au détournement du cours du Cher pour soumettre à moins de pression les levées.
On effectua cependant le dérasement de la levée en 1875 afin de laisser étaler les grands crues dans le lit principal et dans la plaine.
Tiraillés entre la Chapelle-sur-Loire, Rigny-Ussé et Huismes, les habitants de l’île St Martin ont mené, au cours des siècles, une vie difficile de « frontaliers » exposés aux caprices de la Loire. Aux XVII et XVIIIème siècles, ils ont su déboiser la forêt de Thélot, comprise entre la Loire et l’Indre et la transformer en plaine d’alluvions très fertiles où l’on cultiva le chanvre pendant très longtemps. Leur rattachement à Huismes ne s’est fait que progressivement, des enfants fréquentant encore récemment l’école de Rigny-Ussé.
Le hameau de l’Ile St Martin mène aujourd’hui une vie paisible, mais il a conservé sa propre identité de village, un village où les habitants restent très solidaires.
Jean MEUNIER
Sources : Bulletin Sté Archéologique de Touraine 1907 p. 11
Filleteau : monographie de Rigny-Ussé 1899
Archives Municipales de Huismes